Lundi, je torréfie. Mardi, c’est spaghetti

Publié le par HK

Un plic à ploc lancinant alerte l'oeil gauche. L'oeil droit suit, et tourne avec inquiétude vers les petits bâtons rouges lumineux. Dans deux heures, la radio se réveille. Pendant deux heures, la chambre va résonner au son des gouttes sur le sol mat. Un corps à peine en mouvement s'assied sur le bord du lit, tournant le dos à la flaque qui l'obsède. Jetons une première serpillière. La douche brûlante anesthésie la nuque, l'eau glisse sur la peau en échos de couette. Les paupières lourdes tombent dans l'oubli d'une vapeur douce.

 

Les grains grognent, au fond de l'estomac. Ils tanguent de gauche à droite, indifférents à la caresse des degrés. Couper le temps liquide au pommeau, un pied, l'autre, une serviette. Les pupilles à nues retrouvent leurs murs familiers, et accrochent une tache sombre. Fascinées un instant, plic à ploc lancinant, la serpillière gorgée rêve de succession. De l’eau dans une bouilloire, un ronronnement et deux sucres qui heurtent en riant le fond d’un mug. Une cueillere de poudre, une seconde, emportées dans un tourbillon de nuit à l’œil de nacre. Un soluble.

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Les grains flottent, distraits. Le plic à ploc file en sourdine. La porte claque et laisse la tache s’absorber, orpheline. Un pas cadencé, porté par un rythme amer et résolu, s’étonne à chanter. Invitation à faire un tour là où la terre est plate, marquer une pause entre la pierre et la plume, traverser l’histoire avec un couteau dans le dos. Des bribes de récits et d’émotions s’agrippent aux silhouettes croisées, les mots aléatoires de visages anonymes, le mien comme le leur. Une porte doit être ouverte ou fermée. Un visage n’est pas une porte. Nos traits ne se doivent rien, et sont simplement soucieux.

 

Le ciel déploie les hasards de couleurs et de formes fières et incertaines. Je marche, je marche, je voudrais ne pas arriver, et que le temps d’entre deux portes s’étende à n’en plus finir. Allonger cette heure où le vent lisse ce que le soleil dresse. Appliqué à respirer, puisqu’ô bonheur, il n’y a rien d’autre à faire là, tout de suite. Le nez pique du ciel, et snobe les semelles qui mécanisent l’angoisse. Les caniveaux charrient des ombres discrètes et des odeurs âcres.

 

Voilà le bâtiment, et la fin du voyage. J’ai encore la chance de marcher d’un étage à l’autre, d’un couloir à une salle. Mes yeux fixent une feuille mais n’en voient que les minutes – châtain. Les caractères sont tracés au café flou, et emprisonnent l’attente sans trouver les ressources d’officier le sens. Une aiguille éclipse sa prochaine, et le cadran ouvre une parenthèse de quelques heures. Les grains qui grognent de plic à ploc hibernent dans une petite poche froissée entre le cœur et l’estomac.

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Le soleil s’est couché, lentement, jouant entre les nuages une partition sibylline. Heureux de sourire à n’y rien comprendre, le crépuscule ce soir avait presque un parfum. Affamé mais sans but, la cohérence m’accompagne timidement jusqu’à l’évier. Paraît qu’il faut laver la casserole si on veut manger. Ma peau retrouve l’eau qui ruisselle entre les doigts, frémissant de plaisir à sautiller sur le fil de la brûlure. Une pincée de sel, trois feuilles de coriandre pris dans des cristaux de givre, deux pour l’eau bouillante, une à fondre sur la langue.

 

L’eau des pâtes, peu à peu, prend un teint beige, et vire au marron. Je coupe l’électricité des plaques, vide l’eau troublée puis le contenu de la casserole au milieu d’un liseré bleu. Assis face à rien, je mordille une papillote ou deux, jouant avec des bouts de pain de mie. Les barrages de fortune s’imbibent trop vite, incapables de retenir les coulées qui sourdent des bords de l’assiette. Un régiment de nouilles, téméraire, ne verra jamais venir le reste de la troupe. Va falloir jouer du trampoline entre les grains qui grognent, seuldats !

 

Je fais les cent pas. La tache capillarise le mur. Le plic à ploc éclabousse en ricochets. Les serpillières hésitent à flotter, perturbées par les ondes incohérentes. Les ombres discrètes et les odeurs âcres glissent sous la porte d’entrée. Les grains achèvent les dernières papillotes qui n’ont pas déserté. J’essaie de retrouver les visages soucieux, mais la fenêtre ne donne que sur des pavés ébréchés. Le fil de la souris appelle un mare d’espoirs.

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Assis genoux au corps, je ferme les yeux. La musique envahit l’espace en nouant des nœuds auxquels s’accrocher. Le fil se serre juste sous mon coude, gonflant les veines noires. A l'autre bout du garrot, la main ouverte et molle dégoutte. L’eau noire va à l’eau noire, et la fatigue délasse des paupières recueillies de lourdeurs aux pieds en crampes hésitantes. Il n’y a enfin plus rien à espérer que la couette, et la couette est là.

 

Je me réveille soudain. La mer s’étend à perte de vue, mon radeau à la surface du mazagran. Autour du lit, le plic à ploc a disparu, remplacé par un bouillonnement discret et continu. Les murs ressemblent à de grandes toiles végétales encerclant de timides éclats de chaux. Je fonds un pied dans l’encre, et saisis une feuille. Symétrie axiale, coin sur coin, aplanir de l’index, et puis quand même des petits ronds pour les hublots. Un voilier de papier canson sur l’étendue de nuit.

 

Publié dans griffon`nage

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H
takaskanner !aller... aller... ;-)
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R
ah ! voilà ce que c'est que d'être trop bavarde ;p<br /> ménonménon... au moins ça vous aura fait sourire :-)<br /> mais la mer reste couchée sur papier blanc et plume noire, post restante ;o)
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H
On veut lire ! on veut lire ! Dis nous où tu postes =)Et puis la mer... stun grand thème *HK tope dans la paume de mebahel* ;-)
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M
Yeah rififi va faire un blog :-))))<br /> <br /> HK: pari réussi, haut la main...haut le clavier.. et haut les cœurs !!<br />
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R
j'aime beaucoup, les mots dansent à la lecture :-)c'est drôle, j'ai écrit sur la mer moi ce matin...
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